Lettre d’information de JEAN-PIERRE LELEUX – Sénateur des Alpes Maritimes – Maire honoraire de Grasse
Lettre d’information de JEAN-PIERRE LELEUX – Sénateur des Alpes Maritimes – Maire honoraire de Grasse

LA RÉFORME DE NOS INSTITUTIONS

Malgré tous les défauts que l’on a pu lui prêter à sa naissance, la Constitution de la Ve République a incontestablement assuré une stabilité institutionnelle que les précédentes constitutions avaient échoué à garantir. Elle n’en est pas moins un cadre souple, révisé à 24 reprises depuis 1958, qui a su s’adapter tant à l’évolution de la société française qu’à l’essor du droit européen ou encore, s’agissant de la dernière révision de 2008, au besoin de moderniser les institutions et de renforcer les pouvoirs du Parlement.

Mais, qu’est-ce qui explique cette « frénésie » de révisions constitutionnelles ? Celles-ci ne seraient-elles pas vues parfois comme un moyen de remédier à la crise de confiance que traversent nos institutions ? Il semble, en effet, que la Constitution, en tant que loi fondamentale qui régit l’organisation des pouvoirs et qui structure notre ordre juridique interne, est souvent perçue comme un levier sur lequel agir pour réconcilier les français avec leurs élus et avec leurs institutions.

Et le projet de réforme qui a été présenté le 4 avril dernier par le premier ministre, ne déroge pas à cette règle, puisque l’ambition qui est poursuivie est bien « de  réformer nos institutions pour les moderniser, les rendre plus efficaces et permettre une meilleure représentation de nos concitoyens ».

Cette réforme institutionnelle repose, en réalité, sur trois  projets de loi :

Un projet de loi constitutionnelle qui prévoit notamment une réforme de la procédure parlementaire, la suppression de la Cour de Justice de la République ou la réforme du Conseil supérieur de la magistrature.

Un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire qui visent à réduire de 30 % le nombre de parlementaires, à introduire une dose de proportionnelle dans l’élection des députés et à limiter le cumul des mandats dans le temps. Ces trois mesures, qui sont probablement les plus emblématiques aux yeux des français, sont « paradoxalement » celles qui ne nécessitent pas une révision de la Constitution mais qui peuvent être adoptées selon une procédure législative ordinaire.

La réduction du nombre de parlementaires, tout d’abord, est un objectif que partageaient un grand nombre de candidats à l’élection présidentielle, quelle que soit, d’ailleurs, leur couleur politique. Elle est présentée comme un moyen de renforcer l’efficacité du travail parlementaire et a aussi, peut-être même principalement, une portée symbolique, car elle démontre que la représentation nationale est, elle aussi, en capacité de se réformer.

Or, l’objectif de réduire d’un tiers le nombre d’élus nationaux – en passant de 577 à 404 députés et de 348 à 244 sénateurs – est acceptable à la condition qu’il aille de pair avec un renforcement des moyens mis à disposition du Parlement dans l’exercice de ses missions, en particulier celle de contrôle de l’action du Gouvernement.  Mais également, qu’il garantisse la représentation des parlementaires sur les territoires, en maintenant au minimum un député et un sénateur pour les départements les moins peuplés, au risque, si tel n’était pas le cas, d’accentuer la fracture territoriale et d’éloigner toujours plus le monde rural de ses représentants élus.

En ce qui concerne l’introduction d’une dose de proportionnelle dans les élections législatives, débat récurrent dans notre pays, il est prévu qu’elle concerne 15 % des sièges de députés à pourvoir. Il est vrai que le mode de scrutin majoritaire à deux tours, combiné au calendrier électoral actuel qui fait que les élections législatives sont organisées dans la foulée des élections présidentielles, conduit à doter le Président d’une large majorité à l’Assemblée nationale, comme c’est le cas actuellement.
La question délicate est celle de l’équilibre à trouver pour permettre une juste représentation des forces politiques sans remettre en cause la stabilité institutionnelle, qui est l’une des forces de notre régime constitutionnel.

Enfin, pour favoriser le renouvellement du personnel politique, est prévue l’introduction du non cumul des mandats dans le temps. L’exercice de trois mandats identiques consécutifs serait interdit, sauf pour les maires des communes de moins de 9 000 habitants, parfois confrontées à une véritable « crise des vocations ».
Cette mesure, qui viendrait s’ajouter au principe de non cumul des fonctions, déjà existant, ne remet-elle pas en cause le seul baromètre qui vaille dans une démocratie, le droit de se présenter devant le suffrage universel et de se confronter au choix des électeurs ? Ne doit-on pas y voir une restriction de la liberté pour les citoyens de choisir leurs représentants ?
Un « temps de viduité », à savoir une interruption de mandat, certes restant à définir, permettrait, peut-être, d’assouplir le projet et de demeurer conforme à l’exigence démocratique.

S’agissant de la réforme constitutionnelle en tant que telle, le projet de loi entend, en premier lieu, renforcer l’indépendance du Conseil supérieur de la magistrature, en prévoyant que les membres du parquet seront désormais nommés sur avis conforme de la formation compétente du Conseil et non plus sur avis simple. Le Conseil pourra, dès lors, s’opposer à la nomination d’un magistrat du parquet décidée par le ministre.

Elle vise également à supprimer la Cour de Justice de la République, juridiction ad hoc créée en 1993, composée de trois magistrats judiciaires et de douze parlementaires, afin de juger les ministres pour les faits commis dans l’exercice de leurs fonctions.

Par ailleurs, le texte prévoit de supprimer la présence de droit, au sein du Conseil constitutionnel, des anciens présidents de la République. Cette présence constitue, il est vrai, une « bizarrerie démocratique », qui pose des problèmes concrets, puisque les anciens présidents peuvent, en théorie, être amenés à se prononcer sur la constitutionnalité de lois qu’ils ont portées au cours de leurs mandats.

Enfin et surtout, le projet de loi constitutionnelle entend réformer la procédure parlementaire, à travers plusieurs dispositions : L’irrecevabilité des amendements sans portée normative ou sans lien direct avec le texte, la possibilité pour le Gouvernement d’inscrire des projets de loi en priorité à l’ordre du jour, y compris sur des semaines normalement réservées au Parlement, l’accélération de l’examen des textes en cas de désaccord entre l’Assemblée nationale et le Sénat.
Cette démarche d’encadrement et de rationalisation a suscité les inquiétudes de nombre d’élus, qui y voient le risque d’un affaiblissement du Parlement et du bicamérisme, allant à l’opposé des précédentes réformes menées. Parce que le travail parlementaire n’est pas que technique. Il est le lieu du débat démocratique, parfois long et dense, duquel dont issues les lois qui contribuent à façonner notre vie au quotidien.

La réforme de nos institutions donnera lieu, dans les mois à venir, lors de son examen par le Parlement, à de nombreux échanges souvent controversés et à des débats intenses.
D’autant plus que la procédure de révision de la Constitution, définie à son article 89,  prévoit que le projet de révision doit être voté par les deux assemblées en des termes identiques avant de pouvoir être soumis à approbation par référendum ou par le Parlement réuni en Congrès. Dans ce cas, le projet n’est approuvé que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Cette réforme ne pourra donc aboutir que si nous parvenons à trouver un compromis acceptable par tous. La volonté de moderniser notre cadre institutionnel nécessite, dans le même temps, de préserver certains équilibres essentiels au bon fonctionnement de la démocratie.

Dans cette période, le Sénat affirmera ce qui fait son identité en prenant part, avec force et dans l’intérêt général, à la diversité des opinions exprimées.

Voir toutes mes newsletters