
Lettre d’information de JEAN-PIERRE LELEUX – Ancien Sénateur des Alpes Maritimes – Maire honoraire de Grasse
Lettre d’information de JEAN-PIERRE LELEUX – Ancien Sénateur des Alpes Maritimes – Maire honoraire de Grasse
Pour une stratégie européenne de l’Intelligence Artificielle !
Le développement technologique et les usages de l’« Intelligence Artificielle » se développent de façon fulgurante et exponentielle.
Certes cette « intelligence » a toujours existé : Il s’agit – c’est simple au fond – de recueillir des données statistiques et de les utiliser pour mettre en œuvre des applications concrètes.
C’est seulement l’accroissement considérable des capacités informatiques et la possibilité de recueillir des milliards de données quasi instantanément, en temps réel, impossibles à traiter par le cerveau humain, qui a fait rajouter le mot « artificiel » au mot intelligence.
Pour l’instant, nous n’en sommes qu’à des applications que je qualifierai de « simples », déjà utilisées dans notre vie quotidienne, presque familières : le désormais classique GPS, le pilotage automatique des avions, les calculs des trajectoires des satellites dans l’espace, les passeports biométriques, le traitement des données génétiques, les robots ménagers et industriels, l’automatisation des usines de montages… etc…Bref ! que des données objectives !
Mais ce ne sont là que l’embryon de ce qui se profile à l’horizon.
Les perspectives d’avenir sont en effet mille fois plus étendues, riches en espérances mais aussi en menaces.
Avec la miniaturisation incroyable des matériels, les progrès considérables des biotechnologies, la collecte des caractéristiques personnelles de chaque individu et la prise en compte de nos données biométriques, réactions sensitives, cognitives et émotionnelles par des capteurs divers, la conjonction du biotechnologique et du calcul quantique (l’arrivée probable, d’ici 5 à 10 ans, de l’ordinateur quantique qui pourra faire en une seconde ce qu’un ordinateur conventionnel mettrait 10000 ans à faire)…), les applications futures possibles de l’IA donnent le vertige, promettent le meilleur et font craindre le pire.
Demain, si nous n’y prenons garde, le pouvoir sera concentré entre les mains de ceux qui maitrisent les biotechnologies, la puissance de calcul et la capture des données.
Dans son dernier ouvrage, « 21 leçons pour le XXI° siècle », le philosophe et historien Yuval Noah HARARI nous alerte sur les risques de voir émerger des pouvoirs dictatoriaux, ayant la connaissance de tout sur tous, et seront en mesure, au travers d’algorithmes conçus par eux, de prendre les décisions à notre place et même à la place des dirigeants des États – et des entreprises – plus faibles.
Atteinte fondamentale à notre liberté individuelle si chère à nos cultures occidentales !
Dans ce contexte de « disruption technologique » la maitrise de l’Intelligence Artificielle, fait partie, de ces grands défis mondiaux du XXI ° siècle, au même titre que le risque de guerre nucléaire et de l’effondrement écologique. Sauf que, dans ces deux derniers cas, la menace est bien présente dans les esprits du monde et la nécessité de réagir est aujourd’hui est dans toutes les consciences. Ce qui n’est pas encore le cas des risques dictatoriaux qui pourraient menacer le monde si le développement de l’IA restait polarisé et se concentrait dans des mains exclusives.
Or, aujourd’hui, les États-Unis et la Chine sont loin devant tout le monde dans ces disciplines de l’Intelligence Artificielle, et se livrent un duel sans merci pour en détenir le leadership.
Nous, pays européens, regardons le match !
Et, si nous restons spectateurs, dépassés par l’émergence de continents plus puissants, et incapables de rivaliser avec eux, nous ne serons plus qu’une « colonie », riche en données mais livrant à d’autres que nous la possibilité de les exploiter, et de prendre les décisions à notre place, nous privant ainsi de nos libertés politiques, économiques et sociales, individuelle et collectives.
Nous vivrions alors dans un autre mode. Les fictions d’Aldous HUXLEY et de George ORWELL deviendraient d’insupportables réalités
Or l’Europe est un continent de plus de 500 millions d’âmes et de consommateurs (avec la GB), alors que les États-Unis n’en comptent que 330, et nos ingénieurs, sont les mieux formés au monde pour s’approprier ces sujets scientifiques.
Alors pourquoi, chez nous européens, aucun opérateur ne peut encore, actuellement, jouer dans la cour des GAFAM américains (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) des BATX chinois (Baldu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) ?
Pourquoi nos jeunes et brillants ingénieurs s’expatrient-ils pour mettre leurs compétences au service de la Silicon Valley ?
Pourquoi, quand ces derniers créent une start-up innovante, se fait-elle avaler par une entreprise américaine ?
Pour départager la lutte entre les deux géants du numérique, et empêcher que ces deux géants ne se partagent le monde, il faut, impérativement que l’Europe entre dans la course et se positionne parmi les grands. Là, l’espoir d’un multilatéralisme sur le sujet, brisant le bilatéralisme actuel entre les États-Unis et la Chine, pourrait redonner l’espoir d’un partage mondial des enjeux à risques que Yuval Noah HARARI expose dans son ouvrage et d’une régulation planétaire de ce sujet.
Bien sûr, des progrès considérables sont dans la ligne de mire de l’IA, notamment sur le plan de la santé, de la sécurité, et de la lutte contre le réchauffement climatique. Mais cela ne doit pas nous faire perdre de vue, d’un autre côté, les risques et atteintes possibles à nos indépendances et à nos libertés ?
Les pays d’Europe ne peuvent, isolément, relever ce défi.
L’Europe, elle, le peut.
Les membres de l’Union Européenne, plutôt que de travailler chacun de leur côté, doivent construire, ensemble, une grande ambition collective sur ce défi du siècle, y mettre les moyens, et viser, si ce n’est un leadership en la matière, au moins une présence écoutée dans le débat mondial.
JPL
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